Ou comment apprendre à l’enfant à se limiter
(Quelques notes inspirées de la conférence de Jean EPSTEIN donnée à Toulouse le 16 octobre 2003)
La privation, c’est manquer de quelque chose d’important, alors que la frustration, c’est supporter les limites, accepter de différer… Le bébé exige son biberon tout de suite, le petit exige son jouet en criant : la frustration les met en tension. Quand ils grandissent, progressivement, sans les priver, il est utile qu’ils apprennent à attendre, à exprimer leur désir sans devenir furieux si on ne les satisfait pas d’emblée, et plus tard : qu’ils apprennent à participer à la tâche pour obtenir satisfaction.. Céder à leur exigence pulsionnelle, c’est les laisser devenir tout puissants ! Il faut les aider à se défaire de la « toute puissance » (aux alentours de 3 ans )
On voit parfois des enfants qui ne supportent pas physiquement le refus : ils convulsent parce qu’on leur dit non ! La peur que l’enfant souffre angoisse les parents (alors que pleurer, crier, se fâcher, ce n’est pas souffrir !). Ils ont aussi peur de déplaire, ou que l’enfant ne les aime plus ; ils redoutent qu’obliger leur enfant à quelque chose lui fasse perdre la confiance qu’il a en eux, alors qu’au contraire, l’enfant veut des limites !
Quel parent ne finit pas par céder pour avoir la paix, pour sauvegarder un semblant d’harmonie ? Pour avoir le plaisir de voir l’enfant satisfait, comblé grâce à lui, reconnaissant ! (Pourtant, cette gratitude est très superficielle : l’enfant roi devient manipulateur et démago..)
L’absence de limites rend l’enfant tyrannique, l’absence de frustration lui apprend le terrorisme : « Si vous me contrariez, je ne réponds plus de rien ! »
Ou peut-être les parents ont-ils du mal avec les limites qu’ils doivent poser : les supportent-ils eux-mêmes ? Les respectent-ils ? (Quel parent ne sert pas dans le frigo ou le placard à gâteaux discrètement alors qu’il l’interdit à son petit avant l’heure du dîner ?) Or l’exemplarité est utile à l’autorité…
Le travail des parents, et de tous les encadrants adultes :
C’est faire d’un être pulsionnel quelqu’un qui peut se limiter, qui sait se contenir ! Il s’agit de leur faire intégrer ces évidences : On a tous le droit d’avoir envie, mais pas de passer à l’acte ! On peut exprimer ses ressentis, mais contrôler ses comportements, et censurer ceux qui sont interdits ou nuisibles…
C’est l’autorité éducative qui permet à l’enfant de passer du principe de plaisir au principe de réalité :
Principe de plaisir : Je suis le centre du monde ! J’ai tout ce que je veux ! Je le veux tout de suite !
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Autorité éducative : outil de cadrage nécessaire à la socialisation :
Restriction, frustration, Apprentissage de l’attente, avec compréhension, amour, fermeté |
Principe de réalité Je ne suis pas le centre du monde; Je n’ai pas tout ce que je veux; Je dois parfois attendre pour l’avoir..
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A l’adolescence, c’est le réveil de la toute puissance : le jeune a de nouvelles capacités, de nouveaux besoins à assouvir, et cela dans une société de consommation où tant de tentations accessibles renforcent l’immédiateté, le « sans limite », le « on a droit à tout » ! Cela va à l’encontre de la construction de l’individu. Les ados (comme certains adultes d’ailleurs) ont des difficultés avec le manque, et cherchent frénétiquement à le combler, à apaiser l’angoisse : ils veulent avoir tout et tout de suite !
L’aventure familiale doit proposer l’apprentissage de la frustration, l’adulte ne doit pas s’effriter devant les exigences du jeune.. Face à un passage à l’acte d’un adolescent, on entend souvent les parents désemparés dire « Mais on lui a tout donné ! ».. Justement !…La violence et la dépression sont souvent présentes chez les jeunes qui n’ont pas rencontré de limites structurantes.
Etre en conflit, vivre des désaccords, c’est inévitable en famille, et s’en sortir ensemble de façon respectueuse, c’est structurant : il ne faut pas vouloir annuler l’expression de la colère et de l’insatisfaction, voire l’agressivité, mais exclure la violence ! Ne pas confondre autorité avec abus de pouvoir. Oser frustrer à bon escient et pour de bonnes raisons, avec tranquille fermeté..